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Jean LAFOSSE  (1745-1820)

Jean Lafosse est né en 1745 à Paris, il est le fils de Pierre Lafosse, maître-doreur. Vers 1775, il arrive dans l’île en tant que missionnaire lazariste et devient vicaire de Saint-Paul jusqu'en juillet 1775, date à laquelle il prend la paroisse de Saint-Louis. 
De par ses prises de position vigoureuses pendant la période révolutionnaire, il acquiert la réputation de « curé abolitionniste » et devient jusqu’à nos jours l’objet d’une véritable ferveur populaire. Il reste cependant un homme de son temps qui, au-delà de ses combats révolutionnaires,  a constamment veillé à rester un bon gestionnaire de son habitation.


L’homme politique

Lafosse est un orateur hors pair. Passionné et charismatique, il enflamme ses partisans et excède ses adversaires. Dès 1790, il est élu député à l'Assemblée Générale par l'Assemblée paroissiale de St Louis, puis maire en août 1790, poste duquel il est poussé à démissionner en janvier 1791. Ce qui ne l’empêchera pas d’être à nouveau élu député de la première Assemblé Coloniale en 1791, puis député de la seconde Assemblé Coloniale l’année suivante. En 1794, il est élu président de la société d’inspiration révolutionnaire des Chaumières; celle de St Louis est parmi les plus actives de l'Ile.

Si Lafosse compte donc de nombreux partisans à Saint Louis, parmi lesquels on peut citer : Pierre Bellon, Paul Lauret, Pierre Matthieu Ferrere, Jean Baptiste Barbarin ou Gabriel Rivière. Il est aussi vigoureusement combattus par d’autres propriétaires de Saint Louis qui multiplient les plaintes à son encontre. Les deux frères François et Dominique Hoarau, respectivement officier municipal de Saint Louis et major commandant la garde nationale, se montrent particulièrement virulents. Pour une raison obscure, ils sont en conflit avec Lafosse et en décembre 1790, escortés par une soixantaine de personnes, ils décident de fermer  de leur propre  initiative le poste de garde d’Etang Salé, ce qui est une provocation ouverte à l’autorité du maire Lafosse. Peu après, François Hoarau accuse le curé d’être un « dangereux abolitionniste». En réalité, François Hoarau rend publique une lettre privée, adressée au procureur Legrand, où Lafosse s’oppose à la vente des esclaves de la Cure, en s’appuyant sur la constitution française qui « reconnaît tout homme libre essentiellement ». Enfin, le 6 janvier Lafosse est accusé d’avoir fomenté une émeute d’esclaves pour obtenir la libération de son esclave Amant, écroué pour avoir refusé de céder sa place à l’église à un homme blanc. Dans toutes ces affaires, Lafosse dément toute volonté de trouble de l’ordre colonial et si son attitude est parfois ambiguë, Le Comité de rapport auquel l’Assemblée Coloniale a renvoyé l’affaire reconnaît sa bonne foi et rejette sur les Hoarau et la publicité faite autour de la lettre la responsabilité de la crise.

Mais en juillet 1791, c’est au tour de Pascalis, alors maire de St Louis, de  déposer une plainte auprès de l’ Assemblée Coloniale contre Lafosse, accusé d’entretenir un climat de désordre dans la paroisse. Le curé est soupçonné d’avoir inspiré un refus d’obéissance à un officier de la Garde Nationale, Gabriel Rivière, refus exprimé dans une lettre rédigée par Barbarin. Lors de l ‘Assemblée paroissiale du 24 juillet François Hoarau réclame l’exclusion du vote de Rivière, Barbarin et Lafosse. Lafosse proteste, mais se retire « pour ne pas échauffer les esprits ». L’assemblée décide alors, à l’unanimité moins une voix, qu’il ne sera plus admis à voter aux assemblées primaires. Gilles Joseph Fontaine, officier municipal sortant, exprime même le vœux que Lafosse ne réapparaisse plus dans la paroisse. Finalement cette fois encore, le 5 août, l’ Assemblée Coloniale annule les élections faites à St Louis le 24 juillet, « pour exclusion injustifiée d’un citoyen ».

En 1794, au sein de la Chaumière du Gol éclate un conflit entre Lafosse et Etienne Marie Gastellier.
Le curé reproche à son adversaire :

  •  d’avoir adhéré à la  Société des Amis de l’Ordre à une époque où un retour de la monarchie était probable, puis de n’être rentré dans les Chaumières que par opportunisme (Gastellier répond qu’il voulait entraver la Société de l’intérieur),

  • d’avoir donné sa démission à son poste de maire, de peur d’être victime d’une vengeance des anglais qui croisaient au large de l’île (Gastellier répond qu’il l’a donnée à cause de son âge),

  • d'avoir constamment cabalé contre lui et de se laisser aller aux pires menaces contre les prêtres.

Gastellier  reproche à son adversaire :

  • Son attitude tyrannique, de tirer parti de sa position de curé pour abuser de l’ignorance des habitants,

  • de paralyser les activités de la Municipalité avec le comité de Commune (créé par les Chaumières sous la présidence de Lafosse).,

  •  sa violence (il le soupçonne d’encourager ses  partisans à le malmener).,

  • son mépris des institutions..

La Chaumière du Gol prend parti alternativement pour l’un ou .pour l’autre. Enfin, le 19 mars 1795 ,au sein de la Chaumière du Gol, les partisans de Lafosse, manquent de « faire un mauvais sort » à Gastellier qui s’attaquait aux prêtres par le biais de la lecture du journal local. C’est l’intervention du nouveau maire, Edmond HOARAU, qui aurait évité le pire à Gastellier. Pour sa défense, Lafosse affirme avoir quitté les lieux avant l’incident. Excédée, l 'Assemblée Coloniale renvoie cette fois les adversaires dos à dos dans une condamnation commune : la suspension de l’exercice de leur droit de citoyen jusqu’à nouvel ordre. 


Le révolté

En dépit de ces conflits répétés, la popularité du Curé rebelle ne semble pas mis à mal et en décembre 1796, c’est vers lui que se tournent les planteurs désespérés par les nouvelles mesures de l’Assemblée.  Après avoir été vivement encouragés à planter de grain plutôt que du coton, ils perdent en effet la sécurité de l’achat de leur récolte par les autorités et ne peuvent pas les exporter librement. 55 habitants de St Louis déposent une pétition à l ‘Assemblée. Vraisemblablement rédigée par Lafosse, cette pétition « incendiaire » exprime fermement leur volonté de ne plus payer les impôts.

 

En mars 1798, il est l'un des meneurs du mouvement insurrectionnel qui dresse contre le pouvoir dionysien une grande partie des habitants du Sud. Les habitants du Sud de Bourbon s'insurgent contre un arrêté qui menace de la saisie de leurs biens les contribuables qui n'auraient pas payés leurs impôts. Mais leur révolte est aussi l’expression d’une opposition plus générale à l’ensemble de la politique fiscale de l’Assemblée et une réaction patriotique contre la classe dirigeante soupçonnée de vouloir s’allier aux Anglais. Le Comité insurrectionnel se tient à Saint, chez Lafosse, qui en rédige le manifeste. Ses adversaires prétend alors « qu’il ne marche qu‘armé de deux pistolets à la ceinture ». « Furieux et écumant de rage », « il électrise par ses propos les citoyens de sa section ». Dominique Hoarau l’accuse d’en arriver à oublier les devoirs de son sacerdoce, sous prétexte qu’il était occupé avec les affaires du peuple.

Mais le mouvement tourne court et après la fin de l'insurrection, il faudra aux autorités deux jours de recherche pour retrouver Lafosse le 28 avril 1798. Le curé s’était réfugié sous la protection de deux esclaves, dans la case d’une esclave au Gol, sur l ‘habitation d’un St Louisien alors absent. Plusieurs pièces à conviction saisies dans la maison tendent à prouver une participation active des esclaves et ce sont quatorze Blancs, dont Lafosse et Belleville et quatre esclaves qui sont traduits devant les tribunaux. L'Assemblée coloniale condamne les 14 séditieux, dont le curé Lafosse, au renvoi de la colonie. Ils doivent partir pour l'Inde. Mais les déportés réussissent sur l'île de la Digue, une des îles Seychelles inhabitée ; Lafosse y demeurera quatre ans.


Le propriétaire 

En 1803, à son retour d’exil, Lafosse refuse la cure de Sainte Suzanne et obtient celle de Saint Louis où il reprend son sacerdoce et retrouve ses habitations (entendre domaines agricoles coloniaux : terres + esclaves). Il ne s’impliquera plus dans la vie politique de la commune.


Car Jean Lafosse a toujours été un gestionnaire d’exploitation agricole: avant la Révolution, comme tous les curés de Bourbon Lafosse exploite l’habitation de la cure. Il semble que celle-ci soit plutôt prospère, car de 43 esclaves en 1779, elle passe à environ 70 esclaves en 1790. En 1783, Lafosse peut d’ailleurs se permettre d’acheter un terrain de  10 gaulettes de large (environ 49 m), pour la somme de 8 000 L


En 1794 , suite à la sécularisation des biens du clergé et à la fonctionnarisation des prêtres, les biens curiaux sont mis en vente et Lafosse se consacrera alors à l’exploitation de ses propres habitations. Au moment de la vente des bien curiaux, les prêtres ont la possibilité de choisir parmi leurs esclaves, les quatre qu’ils souhaitent conserver. On a vu que le curé de Saint Louis s’était  opposé à la vente des esclaves de la Cure, en s’appuyant sur la constitution française qui «reconnaît tout homme libre essentiellement ». A t-il eut gain de cause, c’est peu probable. En tous cas, il est certain que Lafosse a racheté des esclaves, probablement une partie des anciens esclaves de la Cure (famille Seychelles).  En 1798, avant son exil, 44 esclaves sont recensés en  la maison presbytérale de Saint-Louis. Lafosse possède aussi: 

  • une habitation au Ruisseau dans les hauts de Saint-Louis où « il entretient peu de choses, les cases et bâtiments appartiennent aux Noirs ».

  • Une habitation à l'Étang-Salé, avec seulement quelques mauvaises cases servant aux gardiens.

  • Un emplacement à Saint Denis, qu'il vendra pendant son exil.

En 1818, Lafosse est décrit par  l’abbé Cotineau comme étant « impotent, mais aux mœurs irréprochables et disposant d’une fort belle habitation » et deux années après, lors de l’inventaire de ses biens à son décès : le curé de Saint Louis se classe parmi les notables possédants.  D’ailleurs c’est surtout la rubrique de la main d’œuvre servile qui représente et de loin la valeur la plus importante de son patrimoine: ses esclaves sont au nombre de 75, pour un total de 54 150 L, soit 86 % de la valeur totale. 

A côté de ses activités sacerdotales et politiques, Jean Lafosse n’a donc pas délaissé ses occupations d'exploitant agricole. Loin de l’image du « dangereux abolitionniste » que ses opposants ont véhiculé, le Curé cherche constamment à concilier ses principes avec ses intérêts de possédant.


Dès 1790, Lafosse s’engage pour accorder des droits aux esclaves. Alors que les bancs de l’église étaient réservés aux gens libres, le curé installe des bancs pour ses esclaves au fond de l’église, afin qu’ils ne soient plus obligés de rester debout. En 1791, lorsqu’il apprend que son esclave Amant a été écroué, accusé d'avoir refusé de céder sa place à l'église et d'avoir frappé des blancs, Lafosse s’empresse de lui venir en aide. François Hoarau écrit d’ailleurs au procureur de la commune que « les esclaves de la Cure sont accoutumés en partie à ne faire que ce qu’ils voulaient ». Si les accusations des frères Hoarau sont, on l’a vu, généralement peu crédibles, il est probable que les esclaves de Lafosse aient bénéficié d’un peu plus de liberté que ceux des autres habitants de Saint Louis. Au moins une partie des esclaves entretiennent de bonnes relations avec le curé, au point de lui offrir un refuge lorsqu’il fuit les autorités en 1798.


Pourtant, lorsque Lafosse évoque la constitution française qui « reconnaît tout homme libre essentiellement », il semble qu’il s’agit pour lui plutôt d’une figure de rhétorique destinée à protéger les biens de la Cure que d’une conviction profonde. Car jusqu’à la fin de sa vie Lafosse a été propriétaire d'esclaves.

Certes, en 1794 pour remercier son vieil esclave Pierrot, Lafosse veut lui offrir la joie de de voir ses descendants « jouir du don précieux de la liberté ». Il affranchit alors trois femmes de sa famille: sa fille Agathe 55 ans, sa petite-fille Cécile et la fille de celle-ci, Antoinette. Mais le curé refuse d’affranchir le fils de Pierrot (Pierre) sous prétexte que celui-ci a trop d’enfants et qu’il n’ pas la possibilité de leur procurer suffisamment de moyens de subsistance. On peut cependant imaginer que le fait que Pierre soit le commandeur de l’habitation n’est pas étranger à cette décision.



 

 

Une autre partie de la famille de Pierrot ne sera affranchie qu’après la mort de Lafosse, en 1820. Par testament, le curé affranchit la femme de Pierre, deux de ses filles et une de ses petite-fille, en reconnaissance des bons services de Pierre et de son fils, commandeurs qui ont géré l’exploitation pendant son exil aux Seychelles. Les affranchies sont aussi généreusement bénéficiaires de la moitié des biens du curé, dont 14 esclaves, en majorité des membres de leur famille. Elles prennent le nom de Seychelles, probablement en référence à la raison de leur affranchissement.


Le 12 octobre 1820 Jean Lafosse meurt à l’âge de 75 ans. Il est inhumé dans le petit cimetière du Gol. La mémoire populaire a conservé son souvenir en tant que protecteur des esclaves et sa tombe est l’objet d’un culte jusqu’à nos jours. L’influence du mort y est sollicitée par des pratiques magiques de guérison et de protection.
 

 

  Dernier ajout:  septembre 2022 

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